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La France sous leurs yeux : entretien avec Lucie Hodiesne Darras

© Lucie Hodiesne Darras / Grande commande photojournalisme

Dans le cadre de l’exposition “La France sous leurs yeux” présentée actuellement à la Bibliothèque nationale de France et qui réunit les 200 photographes lauréats de la grande commande photojournalisme lancée par le ministère de la Culture, nous avons interrogé une partie des photographes ayant confié la réalisation de leurs tirages au laboratoire PICTO. Aujourd’hui, rencontre avec Lucie Hodiesne Darras autour de son projet intitulé “Loin des yeux, près du coeur”.

Comment est né le sujet que vous avez choisi de développer dans le cadre de la Grande Commande ?

Pour la Grande Commande Photo de la BNF, j’ai souhaité aborder l’impact psychologique de la crise sanitaire sur les personnes en situation de handicap et plus particulièrement les personnes avec troubles du spectre autistique. Ce sujet s’est révélé comme une évidence puisqu’en tant que petite sœur d’un grand frère autiste, j’ai directement été concernée par cette problématique. Pendant deux ans, j’ai pu constater les répercussions que la pandémie a pu avoir sur mon frère, entre pertes de repères, port du masque, couvre-feux, confinements, suspensions d’activités. J’ai compris que cela impactait énormément les personnes autistes, elles qui ont tant besoin de rituels de temps et d’espace, dans une période d’incertitude et anxiogène. Cette série était également le prolongement de mon premier travail photographique argentique réalisé avec mon frère, pour sensibiliser sur son quotidien, et changer les représentations visuelles que l’on peut se faire de l’autisme. Je suis réellement convaincue de la force du 8ème art pour documenter, informer, sensibiliser, détruire les idées préconçues. Il me tenait donc à cœur de continuer dans cette dynamique d’inclusion, en accompagnant les résidents du Foyer d’Accueil Médicalisé de Verson et les jeunes de l’Institut médicoéducatif Cour de Venise à Paris.

Dans quelle mesure celui-ci apporte-t-il à notre perception des « paysages », des réalités et des enjeux de la France d’aujourd’hui ?

Comme je l’évoquais précédemment, la série photographique Loin des yeux, près du cœur permet d’apporter de nouvelles images dans le champ iconographique de l’autisme. À une heure où nous abordons, une stratégie 2024_2027 pour les personnes avec troubles du spectre autistique et troubles du neuro-développement, il est désormais plus que nécessaire de changer la perception que l’on porte sur les personnes en situation de handicap. De mettre en lumière leurs personnalités, leurs interactions avec leur entourage, qu’il s’agisse de leur famille ou des professionnels de santé qui les accompagnent au quotidien, même si ces interactions sont différentes de la « norme ». Cela pourrait permettre une meilleure inclusion dans notre société. Par ailleurs, il est également très important de revaloriser le secteur du médico-social, et de revenir à des valeurs humaines, altruistes.

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer dans le cadre de la réalisation de ce projet ? Au contraire quelles bonnes surprises chemin faisant… ?

Dans le cadre de la réalisation de ce projet, j’ai rencontré quelques difficultés, dans le sens où j’ai dû faire face à un terrible syndrome de l’imposteur. Je me suis mise énormément de pression, car j’avais peur que mon travail ne soit pas à la hauteur du dossier, de la note d’intention que j’avais proposé. Mais très rapidement, ces pensées ont été balayées, car durant ces six mois de mission, j’ai vécu des moments incroyables avec les résidents du FAM Teranga, et les jeunes de l’IME Cour de Venise. Nous avons tissé des liens très forts sur ces différentes semaines, et qui se sont ressenties en image. Les personnes que j’ai rencontrées m’ont très rapidement acceptée, et se sont vraiment prêtées au jeu de la prise de vue. Et puis les personnes autistes ne sont pas dans la demi-mesure, elles ont un rapport au monde, aux autres, assez frontal et spontané. Il n’y a aucune hypocrisie de leur part, alors je savais que quelque part, mes images d’elles allaient être authentiques et justes.

© Lucie Hodiesne Darras / Grande commande photojournalisme

Que représente pour vous, en tant que photographe, la possibilité de participer à une telle commande, pour ainsi dire historique ?

En tant que photographe, c’est vraiment une chance d’avoir eu la possibilité de participer à une telle commande, et puis c’est très gratifiant, parce que j’ai la sensation que cela apporte de la légitimité à mon travail et à mes convictions. Et justement, pour un sujet que je défends de tout mon cœur, c’est vraiment une victoire, parce que je me dis que ces photographies perdureront dans le temps. Il y aura une trace de notre époque, de certaines problématiques sociétales, et de notre engagement en tant que photographes pour contribuer à un changement, en s’appuyant sur la réalité.

D’un point de vue purement photographique, comment avez-vous choisi de travailler ? Négatif, numérique, couleur, noir et blanc, formats,… qu’est-ce qui a été décisif pour ce morceau de France sous vos yeux ?

Pour cette commande photographique, j’ai choisi de travailler au numérique, avec un petit compact Leica DLux 7 et un hybride Nikon Z-FC. Ces choix de boîtiers étaient déterminants dans la mesure où ils sont passe-partout et polyvalents. Je voulais des boîtiers qui ne soient pas trop impressionnants pour les personnes que j’allais photographier. Je ne voulais pas qu’elles soient déstabilisées par un appareil photo trop imposant, puisque l’idée était vraiment de créer un dialogue avec elles, un lien de confiance pour exprimer les choses avec justesse, authenticité. Sinon, j’ai choisi de travailler en couleur, non seulement pour contrebalancer avec la série photographique déjà réalisée avec mon frère, qui avait été faite en noir & blanc et à l’argentique. Je voulais proposer quelque chose de différent même si je restais sur la même thématique. Également, en allant dans le FAM Teranga à Verson, et l’IME Cour de Venise de Paris, je me suis rendue compte qu’il y avait énormément de couleurs dans les différentes pièces, que cela soit les salles d’ateliers ou les chambres des résidents, toutes différentes les unes des autres. On est loin de la vision des infrastructures de santé complètement aseptisées que la société s’imagine, on est vraiment sur des lieux de vie, où justement il y a de la vie. La couleur était une manière de mettre cela en exergue.

Vos photographies sont exposées à la BnF et conservées dans les collections de l’institution.
Quels dispositifs avez-vous choisi de privilégier pour cette restitution ? Comment le format, la technique du tirage sont ils des prolongements de votre travail et de sa portée ?

Pour la restitution de mon travail, j’ai décidé de travailler avec Picto, avec qui je travaille depuis plusieurs années, et qui m’a accompagné pour plusieurs de mes expositions. J’ai véritablement établi une relation de confiance avec eux, et ils ont toujours été de très bons conseils pour ajouter encore plus de force et de profondeur à mes images. C’est quelque chose de vraiment important à prendre en compte. Nous n’allons pas avoir le même rendu, selon le papier, le format, l’encadrement que nous allons utiliser. Pour l’exposition à la BNF et pour la conservation au sein de département de la photographie, nous avons décidé avec Picto de partir sur le papier Canson Baryta Infinity Mat afin d’offrir à la fois un très bon contraste et des couleurs intenses à mes images, et qui donnent de la profondeur aux différents portraits des jeunes et des résidents que j’ai photographiés, dans leur quotidien et dans leur univers.

Retrouvez nos précédents entretiens :
Jane Evelyn Atwood publié le 22 mars 2024
Olivia Hespel-Obregon publié le 26 mars 2024

Retrouvez notre futur entretien :
Pierre Hybre. Rendez-vous le 2 avril 2024


• Date : Du 19 mars au 23 juin 2024
• Lieu : BnF – Bibliothèque nationale de France
Quai François Mauriac
75013 Paris
https://www.bnf.fr/fr/