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La France sous leurs yeux : entretien avec Olivia Hespel-Obregon

© Olivia Hespel-Obregon / Grande commande photojournalisme

Dans le cadre de l’exposition “La France sous leurs yeux” présentée actuellement à la Bibliothèque nationale de France et qui réunit les 200 photographes lauréats de la grande commande photojournalisme lancée par le ministère de la Culture, nous avons interrogé une partie des photographes ayant confié la réalisation de leurs tirages au laboratoire PICTO. Aujourd’hui, rencontre avec Olivia Hespel-Obregon autour de son projet intitulé “Mon corps est un temple”.

Comment est né le sujet que vous avez choisi de développer dans le cadre de la Grande Commande ?

“Mon corps est un temple” c’est une série qui en réunit 6 ; chacune se concentre sur des manières de vivre et de travailler le corps par différents efforts, ça concerne l’AB/DL, la chirurgie esthétique, le culturisme, le Nail Art, le Furry et le naturisme. Elles sont reliées par ce fil thématique mais elles sont indépendantes et j’en avais déjà entamé avant la Grande Commande, c’était l’occasion de les réunir, de les continuer pour certaines, et de les entamer pour d’autres. Chaque série est née d’une pure curiosité personnelle pour ces univers qui sont comme des microcosmes avec leurs propres codes, leurs langages et leurs esthétiques très marquées. Ce sont aussi des milieux qui ont évolué pendant et à la sortie des confinements : ces périodes de recentrement sur soi ont mené à des prises de conscience et à des reconversions professionnelles ou personnelles.

Dans quelle mesure celui-ci apporte-t-il à notre perception des « paysages », des réalités et des enjeux de la France d’aujourd’hui ?

Une des réactions que je reçois le plus quand je parle de ces univers c’est l’étonnement : des gens apprennent que le Furry existe, qu’il y a des compétitions de Nail Art ou des activités naturistes un peu partout en France. Je crois que c’est là que la série apporte quelque chose, quand elle montre à une audience, peu importe sa taille, que ça existe et que c’est le quotidien, la passion ou le métier de nombreuses personnes. Ce n’est même pas comme si je m’attaquais à des sujets « de niche » parce que les actes de chirurgie esthétique ont explosé après les confinements, la France est un des pays d’Europe qui compte le plus de furries, les associations naturistes sont présentes dans beaucoup de villes, le Nail Art est populaire des lycées jusqu’aux défilés. Ces univers sont les réalités de nombreuses personnes en France, même si elles sont parfois tues ou discrètes, mais elles sont bien là alors pourquoi ne pas les représenter à l’occasion de la Grande Commande.

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer dans le cadre de la réalisation de ce projet ? Au contraire quelles bonnes surprises chemin faisant… ?

Le temps a été ma plus grande difficulté, c’était un projet ambitieux parce qu’il aborde 6 univers, et leur accorder une couverture équitable a été laborieux et je pense que je me suis plantée là-dessus. Mais je le savais en m’y lançant, j’ai fait de mon mieux et j’avais en tête d’au moins commencer certaines des séries et de les continuer en dehors de la Grande Commande. C’est ce qui s’est passé avec la chirurgie et le Furry par exemple, je suis retournée y prendre des photos en 2023 et je retournerai aussi rencontrer des athlètes dans des compétitions de culturisme en 2024. Ces images ne font pas partie du rendu à la Bnf mais elles existent grâce à la Grande Commande. C’est ce qui fait aussi partie des bonnes surprises : certains endroits dans lesquels je retourne faire des images parce qu’ils sont en continuelle évolution et que j’y ai reçu un accueil en tant que personne à part entière et pas seulement en tant que photographe.

© Olivia Hespel-Obregon / Grande commande photojournalisme

Que représente pour vous, en tant que photographe, la possibilité de participer à une telle commande, pour ainsi dire historique ?

C’est un sacré fichu honneur ! Quand j’y pense je me dis que si dans 30 ans quelqu’un effectue des recherches sur le Furry ou le Nail Art en 2022 il pourra tomber sur ces images à la Bnf et je trouve que c’est là que j’ai peut-être été utile : mettre en exergue des milieux qui survivront à leur présent en intégrant les archives nationales et les faire devenir un petit bout de l’histoire du pays. C’est aussi très intimidant de se retrouver si bien entourée par de grandes personnalités de la photographie, dont certaines qui m’ont inspirée dans ce médium. A tous les niveaux je me sens vraiment reconnaissante de l’opportunité qui m’a été donnée de faire partie de cette Grande Commande.

D’un point de vue purement photographique, comment avez-vous choisi de travailler ? Négatif, numérique, couleur, noir et blanc, formats,… qu’est-ce qui a été décisif pour ce morceau de France sous vos yeux ?

J’ai travaillé au numérique et à l’argentique ; un Fuji XT4 pour le premier et un Mju II pour le second. Le numérique était primordial pour travailler en grande quantité et rapidement dans toutes les conditions rencontrées ; les scènes des compétitions de culturisme, les blocs opératoires, les intérieurs chez des particuliers, les grands halls des compétitions de Nail Art, etc, j’ai quand même pas mal bougé ! L’appareil argentique je l’ai toujours sur moi et je l’ai aussi utilisé partout où je suis allée. Mais par pur souci de cohérence visuelle je n’ai rendu que des images faites au numérique pour la Grande Commande. Et toutes les photos sont en couleur, parce que je travaille comme ça et que ça aurait été dommage de ne pas retranscrire tels quels certains éléments comme les couleurs des furries, le sang des opérations, les teintes de vernis, ou le bronzage des athlètes, par exemple.

Vos photographies sont exposées à la BnF et conservées dans les collections de l’institution. Quels dispositifs avez-vous choisi de privilégier pour cette restitution ? Comment le format, la technique du tirage sont-ils des prolongements de votre travail et de sa portée ?

Pour la restitution des images j’ai opté pour un format 50×60 pour les archives et 50×40 encadré pour l’exposition. Pour les archives ça me semblait adéquat pour être manipulé et conservé sans que ce soit trop encombrant. Pour l’exposition, dans la même idée et selon les recommandations de l’équipe curatoriale, je crois que c’est un bon format pour lire les images. Sur ce coup-là je me suis vraiment concentrée sur la prise de vue, en me posant assez tard la question de la restitution et j’ai confié l’impression et l’encadrement à Picto parce que j’ai l’habitude et que j’ai toujours été satisfaite du résultat, si je me peux me permettre de fayotter un peu !

Retour sur notre précédent entretien
Jane Evelyn Atwood, publié le 22 mars 2024

Retrouvez nos futurs entretiens :
Lucie Hodiesne Darras. Rendez-vous le 29 mars 2024
Pierre Hybre. Rendez-vous le 2 avril 2024


• Date : Du 19 mars au 23 juin 2024
• Lieu : BnF – Bibliothèque nationale de France
Quai François Mauriac
75013 Paris
https://www.bnf.fr/fr/