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La France sous leurs yeux : entretien avec Jane Evelyn Atwood

© Jane Evelyn Atwood / Grande commande photojournalisme

Dans le cadre de l’exposition “La France sous leurs yeux” présentée actuellement à la Bibliothèque nationale de France et qui réunit les 200 photographes lauréats de la grande commande photojournalisme lancée par le ministère de la Culture, nous avons interrogé une partie des photographes ayant confié la réalisation de leurs tirages au laboratoire PICTO. Aujourd’hui, rencontre avec Jane Evelyn Atwood autour de son projet intitulé “L’Île d’Ouessant, La fin de la Terre”.

Comment est né le sujet que vous avez choisi de développer dans le cadre de la Grande Commande ? 

J’ai découvert l’île d’Ouessant il ya quelques années grâce à mon compagnon breton qui me l’a fait visiter. Terre toujours un peu sauvage, elle est le point le plus à
l’ouest du territoire français. Puis on m’y a proposé une résidence d’artiste de deux mois en février et mars 2014, logée dans l’ancien sémaphore et exposée à une série de tempêtes parmi les plus féroces de ces dernières années.
J’ai exploré et beaucoup photographié les paysages austères et vides de l’île.
Mais pour moi qui ai l’habitude de travailler à longue haleine, je savais que ce n’était qu’un début. J’étais déterminée à retourner sur ce rocher qui m’a hantée et fascinée.
Mon désir était de le faire en tant que sujet en profondeur, et, bien évidemment, toujours en argentique. La Grande Commande de la BNF m’a donné la possibilité de vivre et de réaliser ce rêve.

Dans quelle mesure celui-ci apporte-t-il à notre perception des « paysages », des réalités et des enjeux de la France d’aujourd’hui ? 

Il y a beaucoup d’îles au large de la Bretagne, mais Ouessant est sans doute la plus mythique de toutes.  Petite société matriarcale, quand les hommes étaient tous partis en mer les femmes géraient tout – culture de la terre, élevage des moutons, travail de la laine et même la trésorerie – Elles organisaient la société îlienne, la faisaient vivre et exister.
Aujourd’hui le tourisme a pris le relais, avec plus que 3000 résidents en été et seulement 600 habitants à l’année.
Je souhaitais connaître ces 600 “vraies ”personnes.
Je voulais savoir pourquoi elles restaient là-bas, dans des conditions si rudes, si austères, à vivre cette vie si particulière sur une île éloignée de tout, coupée du continent – mais qui reste définitivement française.

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer dans le cadre de la réalisation de ce projet ? Au contraire quelles bonnes surprises chemin faisant… ? 

Je n’ai eu aucune difficulté à faire ce sujet, si ce n’est juste de réussir à obtenir des images à la hauteur de ce que je voyais et de ce que je vivais là-bas !  C’est un endroit si chargé, si profond – l’enjeu était de ne PAS faire des cartes-postales mais des images qui vont au-delà de ça.  Je pense que j’y suis arrivée, et encore une fois, comme avec tous mes sujets, la durée a été mon sauveur. Parce que j’ai fait cette commande comme si c’était un travail personnel.
Pour une fois, je ne me suis pas sentie limitée dans le temps pour une commande.
Il fallait être assez systématique, me renseigner sur les choses spécifiques que je voulais couvrir, louer un logement qui serait toujours disponible pour mes venues, trouver une bicyclette pour mes trajets à travers toute l’Île, et m’organiser pour venir régulièrement pendant presque toute une année – ce que j’ai fait, et que j’ai pu réaliser grâce à cette commande.
Ça a coûté cher de travailler ainsi – le logement, les trains, les films, les développements et ensuite les tirages et les encadrements. Mais on a reçu vraiment beaucoup d’argent et je remercie la BNF pour ça ! Je ne me faisais pas de souci tant que ça ne me coûtait pas d’argent.

© Jane Evelyn Atwood / Grande commande photojournalisme

Que représente pour vous, en tant que photographe, la possibilité de participer à une telle commande, pour ainsi dire historique ? 

C’est un honneur et une joie. Surtout en tant qu’étrangère qui a adopté la France, qui a pris la double nationalité, mais qui, dans la tête de beaucoup de français, reste toujours et malgré mes 52 ans passés ici, américaine…

D’un point de vue purement photographique, comment avez-vous choisi de travailler ? Négatif, numérique, couleur, noir et blanc, formats,… qu’est-ce qui a été décisif pour ce morceau de France sous vos yeux ? 

Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai choisi de faire cette commande en films argentiques, et noir et blanc – argentiques parce que je préfère ça et je suis toujours en argentique, et noir et blanc parce que le sujet me demande de le faire en noir et blanc.
Je voyais les tirages en 40/50 depuis le début. Pourquoi ? C’est comme le choix de noir et blanc, ça s’impose, tout naturellement, c’est un “feeling”, je ne peux pas l’expliquer mieux que ça.
Mais aussi, j’ai choisi de rencontrer les gens, de les connaître, de ne pas me limiter uniquement aux paysages.  Les paysages sont si spectaculaires à Ouessant, bien sûr, il faut les inclure.  Mais les gens représentent la vie de l’Ile et ils prenaient, en tout cas pour moi, une autre importance. A ceux et celles qui j’ai photographiées j’ai aussi posé certaines questions, pas vraiment des interviews, j’ai plutôt dialogué avec eux pour essayer de comprendre leurs sentiments sur leur vie sur l’île.

Vos photographies sont exposées à la BnF et conservées dans les collections de l’institution. Quels dispositifs avez-vous choisi de privilégier pour cette restitution ? Comment le format, la technique du tirage sont-ils des prolongements de votre travail et de sa portée ? 

Pour l’exposition, j’ai choisi de faire tirer mes images à Picto, par Thomas Consani, mon tireur de longue date, et de faire encadrer mes tirages par Patrick Bouteloup de CIRCAD parce que tous les deux connaissent mon travail depuis si longtemps, pour moi ce sont les meilleurs et j’ai confiance en eux.  J’avais tellement travaillé !  Il fallait que la présentation soit à la hauteur du résultat de mes efforts, sinon, ça l’aurait desservi et n’aurait rimé à rien. Encore une fois, mon but avec cette commande n’était pas de gagner énormément d’argent mais de faire un beau travail et qui ne me coûterait rien.

Retrouvez nos futurs entretiens :
Olivia Hespel-Obregon. Rendez-vous le 26 mars 2024
Lucie Hodiesne Darras. Rendez-vous le 29 mars 2024
Pierre Hybre. Rendez-vous le 2 avril 2024


• Date : Du 19 mars au 23 juin 2024
• Lieu : BnF – Bibliothèque nationale de France
Quai François Mauriac
75013 Paris
https://www.bnf.fr/fr/