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La mort à la Maison Robert Doisneau

© Christine Delory-Momberger / Agence révélateur Le revenant. Tirage argentique réalisé pour l’exposition, 2004

Pour son exposition de rentrée, la Maison Robert Doisneau tente un pari risqué, celui d’aborder un sujet particulièrement tabou : la mort ou plus particulièrement d’aborder la finitude du corps humain à l’heure de son trépas. Dans nos sociétés, la représentation de la mort a peu à peu disparu. Cette exposition est donc l’occasion de renouer des liens avec elle. Sont réunies ici, des œuvres réalisées en grande majorité par des photographes contemporains, qui ont pour but d’offrir une visibilité à ce qui est aujourd’hui caché, de renouer avec la tradition baroque des vanités et peut-être entamer une réconciliation de notre société avec nos morts ?


Type de fabrication : Tirages, encadrements et impressions directes sur papier peint.
Le laboratoire Picto aide les photographes professionnels pour la réalisation de leurs expositions, des tirages à l’accrochage, en passant par les finitions et l’encadrement.


Photographier nos morts

Les morts dont il s’agit ici sont les morts individuels mais aussi, comme nous l’avons hélas éprouvé lors de la pandémie de COVID-19, les morts multiples. Ce sont nos propres morts qui, vivants, ont partagé notre contemporanéité, ceux que nous avons côtoyés et dont la disparation nous affecte ou nous concerne. Ce sont les morts du « quotidien », celles et ceux qui meurent « dans leurs lits de morts » et qui représentent la majorité des décédés dans nos sociétés en paix (selon le site Santé Publique France, entre 1993 et 2008 en France, 57% des décès sont survenus à l’hôpital, 27% à domicile, 11% en maison de retraite et 5% dans d’autres lieux).

Mais justement, où sont nos morts ? Les pays de l’Europe occidentale ont connu une histoire des pratiques funéraires et liée la représentation de la mort sensiblement similaires et présentent aujourd’hui la particularité de ne pas montrer leurs morts ni leurs images. Ce qui relevait du visible et d’une certaine tradition, au moins jusqu’au milieu du 20ème siècle, a de toute évidence évolué ou semble désormais révolu. Les morts européens ont par exemple disparu de la sphère médiatique. Quotidiens et magazines imprimés, journaux télévisés ou sites internet d’informations ne diffusent par exemple plus les portraits post mortem de nos célébrités trépassées comme cela se faisait jusque dans les années 1960. Et ils ne montrent qu’en d’exceptionnelles occasions les corps morts de nos concitoyens.

© Irène Jonas / Agence révélateur Série photographique sans titre. Tirages sur papier baryté réalisés en 2012 et réhaussés de peinture en 2022

La photographie, qui a presque deux siècles d’existence, est un indicateur riche d’enseignements sur nos sociétés, sur ce qui les caractérise. L’essayiste Susan Sontag a écrit que les photographies diffusées ou montrées nous indiquent ce que nous pouvons voir, ce que nous devons voir et, par défaut, ce qui nous est socialement interdit. Les images véhiculées par la presse mais aussi par les médias sociaux européens sont soumises au droit mais aussi à un certain nombre de règles et de censures plus ou moins établies. Les photographies post mortem que nous réalisons de nos proches ne sortent généralement pas de la sphère intime. Les images montrant des corps occidentaux trépassés, ne paraissent quasiment pas dans les médias. Quant aux photographies réalisées à des fins de documentation ou d’expression quelquefois montrées dans des lieux dédiés (musées, centres d’arts ou festivals), celles-ci font systématiquement débat.

Avons-nous donc à faire à un tabou lorsqu’il s’agit de photographier nos défunts ou de montrer un portrait post mortem ? Pouvons-nous parler d’une nouvelle forme de pornographie comme l’avait envisagé, dès le début des années 1950, l’anthropologue Geoffrey Gorer (Pornography of Death, publié en 1955) à propos de la mort et des morts ? Est-il vrai comme l’avait affirmé l’historien français Philippe Ariès dans son sillage que nos enfants sont très tôt initiés à la physiologie de l’amour mais qu’ils ne savent pas comment mourir et si peu à propos de la mort ? De notre point de vue, l’invisibilité des photographies post mortem dans notre espace médiatique parle d’elle-même et reflète tout simplement notre rapport à la mort : ces photographies « n’existent pas» aujourd’hui (en France en tous cas) dans le sens où elles ne sont pas diffusées pour des questions d’ordre légales mais aussi morales, faisant l’objet d’autocensures, de suppressions ou de bannissements quand elles ne sont pas, pour ce qui concerne les médias sociaux, soumises aux filtres des modérations technologiques et humaines.


• Date : Du 22 septembre 2023 au 18 février 2024
• Lieu : Maison Robert Doisneau
1, rue de la Division du Général Leclerc
94250 Gentilly
https://maisondoisneau.grandorlyseinebievre.fr/