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Jean de Pomereu ou l’abstraction en Piezographie

Jean de Pomereu est tour à tour chercheur, historien, reporter et photographe… Un “polyvalent”, comme il se nomme, ce qui lui permet d’acquérir une pleine connaissance des régions polaires et plus spécifiquement celle de l’Antarctique. La Galerie Bigaignon propose de découvrir “Echos”, une exposition où se mêlent abstraction et réflexion autour du réchauffement climatique. Ces créations sont réalisées à partir de documents d’archives cartographiques sur lesquels il intervient pour traduire la réalité des transformations des calottes glacières.

Cela fait plus de 20 ans que Jean de Pomereu s’intéresse au 6e continent qu’est l’Antarctique. Dès son premier voyage, il a immédiatement été fasciné par l’abstraction de ces immenses paysages blancs. Gardant en tête le somptueux et romantique travail photographique réalisé par les premiers photographes explorateurs du début du siècle dernier, Jean de Pomereu a souhaité offrir un nouveau regard à travers son objectif pour traduire l’incroyable chimère des paysages de ces régions polaires dénuées de toute présence humaine. Il a photographié cette région quinze ans durant avant de s’intéresser à un corpus d’images réalisées par des caméras trifocales entre les années 1950 et 1970. Et c’est ce nouveau travail qui se déploie sur les cimaises de la galerie parisienne, dans cette nouvelle série intitulée “Echos”. À cette occasion, nous avons rencontré l’artiste qui a choisi la Piezographie pour conceptualiser la réalité du réchauffement climatique.

© Jean de Pomereu Anomalie. Courtesy Galerie Bigaignon

Les tirages sont réalisés en Piezographie, une technique d’impression à base de pigments au charbon, pourquoi choisir ce procédé en particulier ?

Le choix des tirages est le fruit de nombreuses expérimentations. Avant même d’opter pour le procédé au charbon, je devais trouver le bon support. Avec Christophe Batifoulier, nous avons fait de nombreux tests en petit format et notamment sur une sélection de papiers japonais. Mais le rendu ne convenait pas. Il faut rappeler que ces tirages ne sont pas de simples impressions, j’interviens sur ces tirages, je déchire, j’incise, je colle… Nous nous sommes donc rapidement aperçus qu’il fallait un papier épais. Voire très épais. Nous avons choisi des papiers 100% coton Hahnemühle, ils sont plus classiques mais très beaux, et ils possèdent une épaisseur allant jusqu’au 500g/m2. Ce qui est très utile, puisque sur certaines œuvres, j’intègre des couches intermédiaires très épaisses pour rehausser des zones et donner de la profondeur.

J’aurai pu me contenter de tirages digitaux classiques en noir et blanc, mais il y avait deux choses qui m’attirait dans la Piezography, dont l’un est un des critères principaux de ce procédé : sa pérennité. Il est important pour moi d’offrir de la durabilité à mes œuvres face à la fragilité du territoire qui est photographié. Ensuite, la Piezography offre une gamme de gris plus grande et plus fine qu’avec n’importe quel autre procédé.

Ce sont des images d’une grande subtilité, quand il s’agit de neige et de glace, on arrive parfois vraiment à la limite de l’invisible dans les blancs et les gris et la Piezography permet de traduire cette finesse. Puis vient la profondeur des noirs qui a une part importante dans mon travail. Dans mes compositions, il y a beaucoup de zones entièrement noires, ce sont des photographies de la mer, avec la glace, les contrastes sont très importants. J’avais besoin de profondeur dans ces matières, je ne pouvais pas seulement me contenter de simples pigments noirs. La Piezography permet d’atteindre un niveau et une densité de noirs incroyables. Je crois qu’avec ce procédé, on obtient un spectre extrêmement complet.
Pour moi, il n’y avait aucune autre alternative. Seule la Piezography me permettait d’obtenir cette profondeur de noir qui nous absorbe, et toute cette subtilité dans les gris et les blancs.

© Jean de Pomereu Anomalie. Courtesy Galerie Bigaignon

Ce procédé d’impression au charbon fait également écho à tout le travail que j’ai entrepris sur le réchauffement climatique et les transformations de ces régions glacières. Rappelons que ces phénomènes sont générés par l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère, elle-même engendrée, entre autres, par l’exploitation du pétrole et du charbon. La corrélation est intéressante entre le procédé et le sujet : le charbon sur le tirage et le charbon qui est à l’origine de tout ça…

© Jean de Pomereu Fragmentation. Courtesy Galerie Bigaignon

À quand remonte votre première utilisation de la Piezographie ? Et comment l’avez-vous connue ?

Il y a quatre ans environ, lorsque j’ai entendu parler de la Piezographie, je me suis renseigné pour savoir dans quel laboratoire je pouvais réaliser des tirages au charbon. Il était assez évident que c’était au laboratoire PICTO avec Christophe Batifoulier, parce qu’ils ont une grande expérience en la matière. J’avais vraiment le désir de voir comment ces archives cartographiques constituées 7 décennies plus tôt pourraient se transposer sur papier. Il y a eu une longue phase de tests et d’expériences. C’est seulement au bout de 2 ans que j’ai commencé à comprendre où j’allais et c’est là que les choses se sont précisées dans ma démarche.

Quand j’ai commencé à travailler avec Christophe et même jusqu’au début de l’exposition, je lui demandais de faire des tirages très abstraits : des feuilles presque entièrement noires, d’autres quasiment blanches. Dès le départ, j’ai une idée très précise de ce que je veux, parfois certaines choses évoluent un peu, ce n’est pas complètement figé, car au moment de la fabrication il y a parfois des déconvenues, alors je dois m’adapter.
La mise au point a été nécessaire entre nous dès le départ. Une fois qu’on avait choisi les papiers, il fallait s’accorder sur comment pousser la subtilité dans les gris et les blancs, et pousser la profondeur des noirs. Cela a été un gros travail. Mais c’est l’avantage de travailler avec quelqu’un comme Christophe, pour aller au plus loin de ce qu’on veut faire. Cela fait partie du lien établi entre photographe et tireur, nous sommes tous les deux là pour arriver à un but précis. Si on doit retirer, on le fait.
Cette relation est essentielle.


Type de fabrication : Tirage jet d’encre en Piezographie.
Le laboratoire Picto aide les photographes professionnels pour la réalisation de leurs expositions, des tirages à l’accrochage, en passant par les finitions et l’encadrement.


Entretien réalisé par Ericka Weidmann.


• Date : Jusqu’au 22 janvier 2022
• Lieu : Galerie Bigaignon
18 rue Bourg-Tibourg
75004 Paris
https://bigaignon.fr/