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Découvrez les lauréats 2023 de la Bourse du Talent

Depuis 25 ans, la Bourse du Talent soutient la jeune création photographique. Chaque année, ce sont plusieurs photographes qui sont primé grâce au soutien du laboratoire PICTO, partenaire historique. En 2023, avec l’aide de Picto Foundation, la bourse se renouvelle pour se concentrer sur les nouvelles écritures documentaires. La Bourse du Talent sélectionne les jeunes talents qui continuent à raconter notre monde à partir de nouvelles formes et modalités de médiation. À l’occasion de la semaine d’ouverture des Rencontres d’Arles, un jury composé de professionnels de la photographie s’est réunit pour élire les 3 lauréats de l’année : Daesung Lee, Florian Ruiz et Kamila K Stanley.

© Daesung Lee. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

Daesung Lee
Love your neighbours (2019 – )

« En 1992, la Bosnie-Herzégovine a déclaré son indépendance de la Yougoslavie à la suite d’un référendum. S’en est suivie la guerre de Bosnie avec le siège de Sarajevo. Partout en Bosnie-Herzégovine, les habitants se sont regroupés selon leur appartenance ethnique et se sont battus les uns contre les autres. Les amis et voisins d’hier sont devenus les ennemis et les meurtriers d’aujourd’hui. Durant les trois années de la guerre de Bosnie, ils se sont pillés, torturés, violés et tués les uns les autres. Un exemple particulièrement glaçant a eu lieu à Srebrenica en 1995 ; l’armée serbe y a tué de façon systématique 8 500 Bosniaques (musulmans de Bosnie) en l’espace de trois jours. La guerre de Bosnie s’est terminée dans une violence extrême et a laissé de profondes cicatrices dans la société. Le plus traumatisant de tout, c’est que ces crimes de guerre ont été commis par des personnes qui se connaissaient.

Je considère la société bosnienne comme une société souffrant de stress post-traumatique. Vingt-sept ans après la fin de la guerre, le traumatisme continue de hanter la société, et s’est même transmis à la génération d’après-guerre. De ce fait, la société est toujours profondément divisée en trois groupes ethniques (Bosniaques, Serbes et Croates) dont les relations restent tendues. Beaucoup de jeunes ont quitté leur pays ou cherchent à le quitter faute d’espoir.

Cette série photographique mêle visualité imaginaire, photographie documentaire et photographies de famille pour illustrer les souvenirs de la guerre, les traumatismes et la frustration qu’elle engendre. La guerre de Bosnie est terminée depuis plus d’une génération, mais chacun continue de se débattre avec elle. Les cicatrices de la guerre sont profondes. »

© Florian Ruiz. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

Florian Ruiz
Nuclear American Road

« Photographe poursuivant depuis plusieurs années un travail sur les territoires marqués par la présence radioactive, mon projet initial était de parcourir les lieux à l’origine du projet Manhattan et du développement de la puissance nucléaire aux USA. Projet empêché par le Covid, je décidai de raconter un voyage, tel un récit de fiction, en empruntant virtuellement ces routes à l’aide de google street view et de l’Intelligence Artificielle.

Partant du site Trinity à Alamogordo, lieu du premier essai nucléaire, en passant par los Alamos, lieu des recherches scientifiques sur le développement des premières armes nucléaires, les mines d’uranium des territoires Navajo, mon objectif final de voyage est de rejoindre le Nevada test Site.

Je photographie, sur l’écran de mon ordinateur, des paysages de l’ordinaire dans ce vaste territoire virtuel : des coins de rue, des parkings, des carrefours, des bords de route, des zones commerciales, des motels, des restaurants… À partir de portraits et d’intérieurs postés par des anonymes sur ces routes, j’ai utilisé l’Intelligence Artificielle afin de remodeler ces images.

Ces photographies déformées picturalement par les zones de floutage, fragmentées par le pixel ainsi que l’étrangeté d’images recomposées par des algorithmes, viennent renforcer la vision fantasmée de ce voyage fictif.

Inspiré par le mouvement des streets photographes des années 70 tel Stephen Shore, j’ai voulu proposer le récit subjectif d’un voyage virtuel, une expression photographique nouvelle en documentant le monde à partir du flux d’images trouvées sur le net et à l’aide des nouvelles technologies. »

Debs
Rappeuse & productrice
Rocinha, 2022
“Genre, je suis lesbienne, noire, et pauvre, tu vois ? Je viens d’un bidonville. Et donc, pour moi, tout a toujours été très difficile. Tu captes? Je déteste ces termes, ce truc cliché; tu sais, j’aurais voulu ne pas dire ça. Mais je voudrais aussi tout raconter; pour que les enfants comme moi n’aient plus à vivre ce que j’ai vécu.”
Debs à du se distancier de sa famille qui n’acceptent pas qu’elle soit lesbienne. Elle a été accueillie chez une amie, à Rocinha, le plus grand bidonville d’Amérique Latine.
© Kamila K Stanley. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

Kamila K Stanley
Tenha Orgulho

« Aujourd’hui, le Brésil est le pays le plus dangereux sur terre pour une personne LGBTQIA+; la moitié des meurtres homophobes au monde y sont commis. En 2018, le pays que je connais commence à changer. Le spectre du fascisme resurgit en la personne de Jair Bolsonaro et son agenda d’extrême droite. En quelques mois les attaques homophobes accroissent de 30% dans le pays; chiffre qui grimpe de manière exponentielle tout au long de sa présidence.

J’ai alors commencé la série « Tenha Orgulho »; qui se traduit par “Sois Fier·e”. Parti d’un cercle intime, le projet grandit. Pendant quatre ans, j’ai voyagé à travers le Brésil pour réaliser des portaits de personnes LGBTQIA+.

Je voulais me distancier des stéréotypes sur la culture queer latine: les corps hypersexualisés, ou bien la précarité fétichisée de la prostitution et la toxicomanie. Chaque portrait entend renvoyer une image dont la personne représentée est fière. Je demande à chacun·e où et comment iel aimerait être représenté·e; ce qui m’a menée des favelas surplombant Rio jusqu’aux quartiers chics de São Paulo.

Les portraits sont entremelés d’apparitions de la riche faune brésilienne, proposant une lecture parallèle entre la violence exercée par l’homme sur les populations LGBTQIA+, et celle opérée sur le vivant (déforestation de l’Amazonie, destruction de la biodiversité); fruit d’une entière construction sociale d’oppression patriarcale. En complément, j’ai enregistré des témoignages audio avec chaque personne photographiée. Des extraits restranscrits à l’écrit sont inclus dans ce dossier. J’ai également filmé un court métrage en Super8, explorant le rapport au corps, au mouvement, et à la danse dans la culture queer.

Enfin, les faixas de rafia sont un élément emblématique de la culture graphique Brésilienne. Véritable étendard populaire, ces banderoles peintes à la main par des artisans sur toile plastifiée, sont commandées par des particuliers pour promouvoir tout message; allant des pubs jusqu’aux demandes en mariage. Accrochées en affichage sauvage partout dans le pays, ils ont également une typologie spécifique, peinte aux couleurs vives et primaires. Souhaitant détourner ces codes pour se réapproprier l’espace public, j’ai commandé des faixas avec de phrases choisies par mes amis queer photographiés pour le projet. Nous avons ensuite été les hisser dans des endroits symboliques où je les ai photographiées.

« Tehna Orgulho » cherche à rendre visible une communauté marginalisée dans une société ardente, où beaucoup reste à reconstruire. Mais c’est également un récit d’espoir; le témoignage d’une communauté aussi désarmée que désarmante. Dans un monde où l’intolérance gagne du terrain, nous avons beaucoup à en apprendre. C’est une résistance bouleversante et tendre: celle de l’amour aux temps de la haine. »

En savoir plus :
https://www.pictofoundation.fr/les-laureats-de-la-bourse-du-talent-2023/