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L’œil, la main – Ali Kazma

Du 15 novembre au 18 novembre 2012

Ali KazmaTout se jouerait donc entre ces deux pôles de la connaissance et de l’agir, l’œil, la main. Mais comment, au juste ? Comment rendre compte de la multiplicité des relations et des glissements entre eux ? Comment l’œil, parfois, « touche »-t-il (c’est le sens de ce que les philosophes appellent la dimension tactile ou haptique du regard). Et à l’inverse, comment la main « voit »-elle et pense-t-elle, comme si elle était dotée d’un pouvoir autonome ?
Ali Kazma a donné de la seconde hypothèse, dans ses vidéos, des exemples remarquables. Son attention a porté, avec une précision quasi-chirurgicale et poétique à la fois, sur la main qui travaille, celle d’un boucher, d’un employé de bureau, d’un chef cuisinier, d’un horloger, d’une ouvrière, d’archéologues. Ses vidéos résultent d’une compréhension intime de gestes ou d’activités professionnelles, et de longues heures de tournage dont un subtil travail de montage rend visible et sensible la pensée qui sous-tend ce travail des mains, un peu comme le poème distille, par son arrangement de mots, quelque chose que le continu du discours ne saurait parvenir à saisir. Tout est dans cette tension entre l’application méticuleuse et quelque chose qui semble lui échapper, être au-delà du sujet de ces actions lui- même, au point qu’il est parfois totalement absent, comme dans Rolling Mill ou dans Automobile– absent en apparence seulement. Car dans ces images du travail hautement mécanisé et informatisé de l’industrie, ce sont les machines, le ballet de leurs « gestes » qui prennent le relais , et les travaux photographiques de l’artiste semblent à première vue à l’opposé d’une telle plongée dans le geste et la matérialité du travail. Ce sont souvent des vues nocturnes, lointaines, quelque peu énigmatiques, qui paraissent appartenir à un univers optique dans lequel c’est le rapport entre ombre et lumière, par exemple, qui structure l’image. Quelque chose se manifeste (une présence lumineuse, un signe de vie), dans un espace qui en rend possible la perception, et qui en retour s’en trouve transformé.
C’est l’œil ici qui maintient un lien fragile avec le monde du vivant, une lumière lointaine, un avion dans le ciel, les phares d’une voiture. Tout se passe comme si une lunette grossissante, préalablement fixée sur un objet tout proche, la main, le matériau, l’outil, se trouvait soudain retournée, et ouvrait au regard l’abîme du lointain.
On sait que ces renversements d’échelle sont de la plus grande importance, ils sont les nécessaires réajustements dont l’esprit a besoin pour assurer sa perception et l’enrichir, et partant se situer au plus juste dans l’échelle des choses du monde.
La vidéo travaille dans un double continu – celui de l’activité filmée et de sa captation attentive d’une part ; et celui de sa recomposition et de sa compression au montage d’autre part. La photographie, elle, opère une coupe singulière. Dans le meilleur des cas, elle est le signe d’une rencontre, un kairos que la main ou son truchement, l’appareil, s’efforcent de capter, comme une occasion qui peut-être ne se représentera pas. L’œil pense et agit vite, il sait que son temps est compté, et son matériau éphémère. Une photo, aussi réfléchie soit-elle, est toujours un événement, un hapax , là où l’enregistrement vidéo offre la sécurité (illusoire, bien sûr) du document. Car de fait cet enregistrement n’a rien d’un donné, il est au contraire entièrement construit, le résultat d’un ensemble de décisions qui enserrent l’illusion de réalité dans un espace fictif absorbant. Cet espace de potentialités est celui du récit, au bord duquel s’arrêtent les vidéos d’Ali Kazma tout en en laissant entrevoir la possibilité. Ce qu’elles laissent entrevoir aussi, c’est que cet espace est celui d’une catastrophe en puissance, la catastrophe de toute action réduite à son itération, bordée par la fatigue, l’ennui, le mécanique, et néanmoins réussissant à maintenir la tension persistante d’une présence et d’une volonté.
Dans les photographies, la présence humaine est là aussi lointaine, fragile, mais en quelque sorte apaisée, loin de l’agitation et du caractère obsessionnel du travail. Elle tient à quelques signes, une lumière, la trace délicate que laisse un avion dans le ciel, qui s’effiloche avant de se dissiper complètement, la présence d’un bateau, au loin. Ce sont des signes qui troublent à peine la quiétude du paysage, et même qui en renforcent l’infinie plénitude. L’univers existe, à son échelle qui est sans commune mesure avec la nôtre, ces photographies le disent avec sérénité et simplicité. Pourtant, et peut-être précisément pour cela, il ne s’agit pas là de variations sur le paysage romantique, mais plutôt d’une invitation au regard à accommoder sur deux dimensions, deux temporalités. De cette tension naît une forme de fantastique onirique. Nous sommes ici, mais aussi ailleurs, par delà, plus loin.

Tirage Expo PICTO
Type de fabrication : tirage d’exposition argentique et collage sur alu. 

Du 15 novembre au 18 novembre 2012
Dans le cadre de Paris Photo
Lieu : La Galerie Analix Forever
Grand Palais
3 Avenue du Général Eisenhower
75008 Paris

Plus d’infos sur la réalisation d’une exposition : pictoculture@picto.fr