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Finaliste Prix Picto de la Mode 2022 : Anne-Laure Etienne

En moins d’une trentaine d’années d’existence, Anne-Laure Etienne est parvenue à se constituer une mosaïque de vie(s) qui l’installe dans une catégorie de photographes / vidéastes d’exception. Son oeuvre composite, immédiatement reconnaissable bien qu’en perpétuelle hybridation, est une représentation magistrale de son époque. Naturellement, elle capte des ambiances qui transcendent les époques et les modes. Elle figure des textures, des matières, des teintes et des lumières avec la subtilité induite par son questionnement permanent sur le lien entre le fond et la forme. Dans son rapport à la nature et au corps humain, le genre n’a pas d’importance, dans tous les sens du terme.

Raconter son histoire revient à aborder les thématiques et les choix de son oeuvre photographique. Née et grandie dans les terres sauvages de l’Ardèche méridionale, son regard s’est aiguisé au contact de la nature que les activités humaines peinent à canaliser. Elle y a gardé son ancrage vital tout comme son sens du relief et son approche de la lumière naturelle. Mais les racines se plongent dans n’importe quelle terre pour l’artiste qui refuse la mise en conformité avec les standards de l’industrie culturelle. L’autodidacte a plié ses bagages pour acquérir de la théorie, de la technique et de solides références. Anne-Laure intègre l’école des métiers SEPR à Lyon pour obtenir son BAC pro photographie. Le cadre est trop étroit ; il lui faut l’élargir. Elle s’intéresse alors à d’autres horizons, au sens propre comme au figuré : le graphisme en Belgique (Liège, École Supérieure des Arts Saint Luc) puis l’architecture en Allemagne (Berlin).

Toutes les facettes de sa personnalité et de son histoire se retrouvent dans le développement de son portfolio personnel, qui est la base avancée de ses créations en lien avec le monde de la musique. Anne- Laure se fait notamment connaître avec une série d’autoportraits somptueux et déroutants : Lost in the open air. À la fois actrice/sujet et scénariste, elle y insuffle les éléments fondateurs qui vont irradier la plus grande partie de son oeuvre transgenre : les liens ambiguës entre rêve et réalité, mouvement et immobilité, absence et présence, nature et culture… Une autre série marquante, Tissues and Bones, remporte d’ailleurs le 1er prix de Réponses Photo aux Rencontres d’Arles en 2020.

Tissues & Bones (2016-2021)

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Dans cette série Tissues & Bones, Anne-Laure Étienne approfondit son rapport aux corps et leurs enveloppes de peaux ou de tissus. Elle continue de bouleverser les repères et les symboles avec un sens pop de la poésie.

Avec cette approche en autoportrait, elle interroge l’espace, le corps et la matière. Mais aussi la place de l’humain dans son environnement : le conflit intime entre contrainte et expression de sa liberté, entre l’enfermement de l’enveloppe corporelle et l’épanouissement de l’esprit. La nature y est représentée à la fois belle et rude. Loin d’être un simple décor, elle conditionne l’espace mental de ces corps perdus qui lui sont soumis.

Anne-Laure propose ici des photos en trois dimensions : le réel, le symbolique et l’imaginaire. Avec une minutie esthétique, une économie de moyens et un sens du do it yourself aiguisé par ses multiples expériences artistiques, elle tend vers l’épure pour magnifier des corps et des sujets complexes. Elle se plaît dans le jeu d’équilibrisme que représente l’improvisation, toujours sur la brèche entre deux mondes.

Dans le « confort » technologique offert par le numérique, Anne-Laure recherche la sortie de route salutaire et lumineuse. Guettant l’accident dans la prise de vue, elle appuie un peu plus sur cette tension entre contrainte et liberté des corps. Les enveloppes vestimentaires et corporelles deviennent une seule et même peau, et leur union irradie tout autant l’humain que son environnement.

Bright isles in a sea of every days (2022)

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Anne-Laure Étienne est récemment partie chercher d’autres lumières et d’autres territoires, pour continuer à entrelacer les thématiques qui lui sont chères : l’humain et les multiples expressions du corps, la nature et l’infinie diversité des possibles qu’elle offre. Le tout entre en fusion pour créer des oeuvres composites qui magnifie le sujet, tout autant dans ses vêtements que dans son environnement.

L’« île lumineuse » qui vient bouleverser ici les remous de la « mer de tous les jours » est celle de Tenerife. En lumière directe, Anne-Laure capte l’aspect solaire de ce territoire et elle trouve, dans la mise en scène de son modèle, la sensibilité nécessaire pour exprimer le ressac de l’âme humaine.

Dans cette série argentique, la photographe accentue les contraintes développées dans la série précédente Tissues & Bones (réalisée en numérique) pour exprimer encore son goût de la prise de risque. Alors que les corps y étaient représentés comme prisonniers, ils cherchent ici une échappatoire. N’étant plus son propre sujet, Anne-Laure approfondit sa quête de liberté en photographiant l’autre, tout en renforçant la contrainte inhérente à l’argentique. Dans ce paradoxe elle développe encore plus sa relation à la rémanence, en lui donnant une nouvelle dimension charnelle.

Encore une fois, elle joue sur plusieurs tableaux et sur de savoureuses contradictions… La technologie de captation y est plus délicate et plus sensible. Elle lui offre plus d’amplitude pour restituer les grains de peau, les fibres de tissus, les couleurs, les lumières et les reliefs des paysages.

En frottant le réel et l’imaginaire, Anne-Laure Etienne éclaire toujours un peu plus une pratique de la photographie que le monde de la mode a contribué à transformer en art. Et l’art, pour rester vivant, a toujours besoin de jouer sur les multiples nuances du décalage… C’est dans ces interstices du contraste que cette artiste polyvalente aime se glisser.