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© Jean-François Spricigo

Témoignage : Jean-François Spricigo

© Jean-François Spricigo

Le photographe belge, Jean-François Spricigo est né à Tournai en 1979.
Auteur de plusieurs œuvres filmiques  (court-métrages, clips…),  il a exposé ses premiers travaux photographiques en 1998. Son travail est un territoire sensible, composé d’instants empruntés au réel qui juxtaposés révèlent une certaine vibration du monde.
L’auteur s’exprime également par l’écriture qui tient une part importante dans sa vie, son travail a fait l’objet de diverses publications et collaborations et a été plusieurs fois récompensé.

Nous l’avions rencontré à l’occasion de son exposition « Corpus scripti » qui s’inscrit dans la thématique « la nuit, je rêve… » au Festival des Promenades Photographiques de Vendôme. Il a accepté, et nous l’en remercions chaleureusement, de répondre à quelques questions sur sa réflexion autour de la fabrication de ses impressions. 

– Peux-tu nous parler de ta série Corpus scripti : tu dis que photographier est pour toi une nécessité, mais quelle énergie a motivé la naissance de cette série ?

Seul respirer est nécessaire, le reste est discursif. La photographie, dans la disponibilité avec laquelle je l’envisage, peut cependant participer au discernement nécessaire à accueillir cette respiration. Il ne s’agit pas d’une formule ésotérique, mais d’un constat tranquille à admettre que la création s’épanouit davantage dans cette disponibilité, plutôt qu’à subir l’étau de l’exercice de volonté inféodée aux stratégies de l’ego. La nécessité s’expérimente alors simplement en allant voir, à admettre que tout est un jeu, et y jouer sereinement selon les règles appropriées.
Concernant la question de la série, je ne me préoccupe pas des modalités sérielles, les photographies surgissent au gré du vent, sans thème particulier. Au moment où la circonstance le demande, je rassemble les images en résonance avec le sens et la musicalité du titre qui s’imposent à moi ; de cette alchimie peut naître l’exposition.

– Cette série a fait l’objet d’une exposition en 2012 dans l’église Saint-Maurice à Lille et est exposée en ce moment à Vendôme, au festival des Promenades photo jusqu’au 20 septembre 2015.
Tu as l’expérience de deux lieux différents pour une même exposition, peux-tu nous en dire plus sur les formes que tu as choisies pour les présenter et transmettre ton travail aux autres ?

De fait, cette exposition vient originellement de l’impulsion initiée à l’église Saint-Maurice, cependant elle a significativement été augmentée afin de s’insérer dans la dynamique de cette nouvelle proposition.
L’espace religieux d’alors imposait une telle présence, liée à l’imagerie de son histoire, j’ai ainsi cherché un rapport harmonieux entre le support et ses dimensions pour dialoguer avec lui ; ou tout du moins éviter de créer volontairement une fracture formelle – la question idéologique appartenant aux convictions de chacun.
Dans les deux cas, l’accrochage est linéaire en raison des grands formats choisis et des cimaises disponibles.

– Pour cette exposition à Vendôme, tu as choisi de l’impression directe sur dibond alu brossé en grand format, comment en es-tu arrivé à choisir ce support plutôt qu’un autre ?

Je n’en connaissais pas l’existence, la suggestion me vient de François Georges de chez vous. Il a eu l’initiative heureuse de m’en faire la proposition ; ceci confirme une fois encore la nécessité d’un humain compétent plutôt qu’une machine quand on est confronté à pareille question ; l’audace restant l’apparat des vivants.

– D’après toi qu’est-ce qu’il (le support) soutient ou renforce dans ce que tu donnes à voir ?

Je répondrais à cette question strictement dans le cadre particulier de ce projet, les théories générales sur ce sujet, comme sur tous les autres d’ailleurs, étant peu avérées. La nature même de ce support, dont la singularité la plus marquante est son état de surface en aluminium brossé, participe explicitement au rendu final de l’image imprimée. Pour ma part, je dirais que c’est un choix tellement intentionnellement intrusif qu’il renforce, dans ce cas précis, la portée de l’image, au risque peut-être d’en déranger certains. L’aspect métal renvoie à la gravure ou au fusain par le renforcement des contrastes et le volume créé par l’accumulation de l’encre sur les zones sombres. Ce caractère « primitif » m’intéresse d’autant plus sur cette série que les thèmes choisis sont proches pour certains des fusains de Goya liés aux visions des mystiques. Mes formats ordinaires sur papier sont relativement contenus, j’avais dès lors envie d’aborder une autre façon de révéler l’image sur des formats plus conséquents. J’ai aussi le sentiment de l’utilité d’une distance ample entre le spectateur et l’image, et donc de dimensions de tirages généreuses, pour opérer un dialogue pertinent avec la radicalité de cette surface. Il est à préciser que les photographies montrées sont en noir et blanc, j’ignore ce qu’il adviendrait avec de la couleur.

– Est-ce que finalement ce support n’est pas devenu un élément à part entière dans tes images ?

Il fut choisi initialement pour faire écho aux vitraux de l’église. En fonction de l’angle de champ, le vitrail se lit différemment, ses reflets et sa transparence évoluant à mesure de notre déplacement vers lui. Il en est de même avec ce support photographique. Un détail important tient aussi à la sélection. J’ai pioché dans les photographies dont les motifs et le contraste étaient suffisamment marqués pour s’inscrire dans pareil procédé.

« La nuit je rêve », le thème de l’édition des Promenades Photographiques, me semblait approprié pour proposer à nouveau cette lecture diaphane et éthéré de mon travail.

– Quel est ton rapport au tirage ? As-tu l’habitude de les réaliser toi-même ou travailles-tu avec un tireur ?

Un rapport charnel essentiellement, je crois intensément en la pertinence de l’incarnation dans la création. Le tirage photographique est une de ses émanations possibles, à la fois sensuelle et aboutie au sens premier, où l’on disait même qu’elle était « fixée », selon les procédés argentiques. Je ne prétends pas normaliser le sujet, cependant il m’apparaît cohérent qu’un photographe garde la main sur ses tirages, mais je le répète, cela appartient à la sensibilité de chacun.
Pour ma part, je réalise depuis plusieurs années l’ensemble du processus – hormis le cadre – de mes expositions. Il m’importe peu d’être un « bon » tireur, j’essaie surtout d’écouter la vibration émise à la prise de vue, et cela m’offre notamment l’opportunité de discerner dans l’erreur apparente la possibilité d’une autre écriture. Tout cela est si fragile, cet instant requiert toute mon attention.
Evidemment quand il s’agit de format ou de support hors-norme comme celui-ci, le laboratoire est précieux et son expertise apaisante. Dans mon cas avec Picto, tant l’écoute que la rigueur technique donnent de la perspective aux projets singuliers, ainsi ils ne se satisfont pas seulement d’être potentiellement de bonnes idées, mais surtout de vraies expositions.

© Jean-François Spricigo